Carnet de route

ANETO
Sortie : VIGNEMALE du 08/05/2025
Le 14/05/2025 par GUIRAUDIE GUY
Aneto,
Les températures estivales de la semaine précédente n'arrangent rien à mes affaires pour l'organisation de la dernière sortie à ski de la saison, prévue autour du refuge wallon dans la vallée du Marcadau. C'est déjà un peu tard pour skier sur le massif pyrénéen, mais ces dernières années la date du huit Mai nous a toujours souri. Après discussion avec le gardien du refuge, j'envoie un petit mail aux trois participants, Philippe Heinrich, Aude et Nico, en faisant mention de l'état de l'enneigement, carrément déficitaire, voire absent sur la zone visée, je leur propose soit d'y aller en rando sans les skis, plutôt que de s'exposer à de violents portages, soit d'aller sur l'Aneto où l'enneigement est très bon, mais l'accès beaucoup plus long. Les réponses, sans surprises, ont vite afflué pour donner à l'unanimité le point culminant des Pyrénées gagnant. Philippe, en vol pour Londres, nous fait part de sa connaissance d'un logement collectif à Benasque qu'il s'occupe de réserver, tandis que j'annule la réservation sur le refuge Wallon. Voilà, tout se goupille pour le mieux, reste un point flou non négociable, la météo... Le jeudi 8 nous partons pour Bénasque, effectivement la route est bien longue. Depuis les vitres de la voiture, plus nous approchons, plus le ciel Pyrénéen s'obscurcit ; s'il y a une fenêtre météo à espérer elle serait le vendredi jusqu'en milieu d'après midi, donc demain... Six heures plus tard nous arrivons. Après avoir pris possession des clefs et de la chambre, nous reprenons la route pour nous assurer de l'accès en voiture jusqu'au parking terminus de Besurta, 15 kms plus haut, ce qui permettra de déterminer notre heure de départ et la durée du portage du lendemain. Constatation faite d'un accès dégagé et d'un point de départ rapproché, c'est la conscience allégée que nous rentrons au gîte pour le repas de 20h. L'heure du réveil est fixé à 4h45, pour un départ sac sur le dos à 6h et 1500m de dénivelé. Le lendemain, la sonnerie du téléphone (ça fait aussi réveil matin !) nous sort de la torpeur, venant nous chercher bien loin dans nos rêves, c'est les yeux embués que nous allons prendre le petit déj. 6H, nous sommes au parking à 1900m d'altitude, le ciel est partiellement couvert, le gros de la dépression de la nuit semble être derrière nous. Il a neigé ! Et ce qui peut être un léger saupoudrage ici, doit être un bel enneigement frais plus haut. Après les derniers préparatifs, et un léger retard sur l'horaire, c'est skis sur les sacs et sacs sur le dos, que nous partons pour un léger portage, afin de trouver le manteau neigeux une centaine de mètres plus haut. Une fois la neige conséquente trouvée nous progressons ensuite skis aux pieds en passant devant le refuge de la Rencluse, que nous laissons sur notre droite. Celui-ci affichait complet lors du changement de programme en remplacement du refuge Wallon, les prétendants au sommet ont dû être refroidi par la météo, car il semble n'y avoir que quelques âmes qui vivent, ici ! Seuls deux skieurs se préparent à partir, nous continuons notre progression. Le ciel se déchire, laissant apparaître de beaux rais de lumière à travers les nuages, et un lever d'astre solaire riche en contrastes; le bas du vallon en teinte noire et blanche avec la fine couche de neige de la nuit, et le haut, plâtré d'un blanc immaculé. Bientôt nous aurons un franc soleil pour nous accompagner, ce qui tendra nos lèvres vers le haut en de larges sourires. La trace que nous suivons depuis le refuge oblique vers le Portillon inférieur, alors que tous les topos font passer par le Portillon supérieur. Dans le doute, et après consultation de notre position avec Philippe je pars donc à droite en direction du passage initialement prévu, pour continuer maintenant le cheminement dans une neige fraîche et vierge. La sous-couche étant dure je préfère mettre les couteaux, m'évitant des ripages successifs plutôt énergivores, et ainsi faire une trace plus confortable pour ceux qui suivent. Une forme géométrique triangulaire dépasse juste de la crête, il doit s'agir du pluviomètre indiquant la proximité du col (le supérieur ce coup-ci). Deux traversées plus loin, on se retrouve devant une fine brèche d'où on aperçoit plus loin le sommet de l'Aneto, et, sur toute la distance qui nous en sépare, un immense champ de neige qui demeure encore le plus grand glacier des Pyrénées. Ici, nous plaçons les skis sur le sac, pour les remplacer par les crampons. La descente n'est que sur une vingtaine de mètres, et doit approcher les 40°. C'est en mode de désescalade que nous franchissons ce couloir pour prendre pied plus bas sur le glacier de la Maladeta, et rechausser les skis. Plus en contre bas, nous apercevons un groupe de skieurs, sûrement ceux qui ont choisi l'option du Portillon Inférieur. Nico prend la tête et se met à la trace, ses larges skis (tout neufs !) nous préparent deux rails idéaux pour suivre sans trop forcer, y laissant glisser nos peaux pas après pas. Pour l'instant la météo est au grand beau, les paysages blanchis splendides, tandis que sur le massif Luchonnais s'amoncellent et stagnent les nuages. La traversée de cette vaste étendue est assez longue, bientôt nous rejoignons la trace du groupe de tête, nous doublons une cordée de trois skieurs qui nous repasse devant au moment où nous faisons une halte casse-croûte, le soleil tape et les 1000 mètres de dénivelé se font sentir. Un visuel rapide vers le sommet au moment de repartir, déjà celui (en fait c'est "celle" !) qui fait la trace approche du premier mur, suivie par six autres randonneurs à skis. Nous passons devant le groupe de trois qui s'est arrêté pour manger à son tour, et, sûrement refroidi par les nuages qui arrivent bon train par le sud accompagnés de vent, feront demi tour. Nous continuons pour arriver dans la purée de pois au deuxième ressaut, bien négocié par la cheffe de file, mais pas mal ralenti par le groupe d'Espagnol qui à chaque "Vuelta Maria" (conversions !) en profite pour déblatérer, nous imposant un rythme saccadé. Le dernier ressaut se trouve être plus coriace et la skieuse de tête pédalera un moment pour trouver les bons ancrages, sans couteaux, tapant énergiquement sur les patins pour sécuriser chacun de ses pas. Voyant cela, je coupe en dessous plus à droite pour faire un autre accès, plus aisé grâce à nos couteaux mis plus bas, et éviter une, sûrement, longue attente derrière le groupe palabreur ! Nous arrivons à l'antécime, rejoignant la première de cordée et son acolyte, apprenant là qu'ils ne font pas parti du groupe juste en dessous. Ici, dans le brouillard, nous mettons les crampons pour franchir le fameux "pas de Mahomet", ou "pont de Mahomet", (Philippe nous expliquera plus tard pourquoi "Mahomet" en ces terres chrétiennes !) , petite arête effilée moitié neige, moitié rocher qui permet d'atteindre le sommet géographique du lieu, habité par une vierge serrant l'enfant Jésus dans ses bras, tenant lui-même une colombe comme son doudou. La neige fraîche a recouvert l'arête d'une nouvelle épaisseur, la skieuse de tête ayant fait la trace la plus difficile jusque-là, et ne discernant pas le relief (dixit) à cause du brouillard et du manque de visibilité, je pars en tête. Quand même pas trop rassuré vu la verticalité qu'il y a des deux côtés, et la toute fine arête de neige devant moi, sur laquelle je prends pied en tâtant du crampon pour tester la stabilité, c'est prudemment, à quatre pattes, que je franchi ce court passage ; position peu académique sur ces cimes mais qui aura le mérite de rassurer les suiveurs. Le reste de l'arête se fait beaucoup plus sereinement, trouvant plus facilement les points d'appuis et d'ancrages pour le piolet et pour les pieds. Une cinquantaine de mètres plus loin j'arrive à la vierge, le premier de l'Aneto ! (bon, c'est toujours un 1er janvier, dur de faire plus tôt !). Tous me rejoignent, selfies, congratulations, embrassades, larges sourires de satisfaction, une éclaircie vient même nous dévoiler une partie du paysage. Il n'y a vraiment pas foule et c'est tant mieux, d'habitude c'est plutôt la bousculade à cet endroit, et les chassés-croisés sur l'arête plutôt scabreux. Nous faisons chemin inverse pour retrouver nos skis, là le groupe hispanique est arrivé, et prépare l'encordement tout en débitant des volumes impressionnants de mots! Philippe captera dans leur discussion que la croix matérialisant autrefois le sommet a été décimée par le vent, et qu'il est question d'en réinstaller une nouvelle. C'est dans cette ambiance de jour blanc que nous amorçons la descente, la neige s'est un peu alourdie avec l'effet "couvercle" des nuages qui accentue la chaleur. Les premiers virages sont à tâtons, mais dès le deuxième mur la visibilité est meilleure et nous pouvons lâcher les watts dans cette belle neige fraîche. Magnifique cette descente plongeante vers le Plan d'Aigualluts, la pente est bien soutenue, les virages se succèdent, les rictus de plaisirs s'inscrivent sur les visages. Nicolas complètement séduit par ses nouveaux skis qui sembleraient tourner tout seuls ; Aude, a en voir ses grands sourires semble ravie de skier pour la première fois les pentes de ce sommet mythique, tout comme Philippe. Devant je mène la danse, une godille chorégraphique nous amène vers le vallon, cherchant l'itinéraire le plus judicieux, et profitant au maximum de ces bonnes et inespérées conditions. Nous obliquons à gauche pour rejoindre un vaste talweg où un resserrement semble indiquer des barres rocheuses, mais un large couloir permet d'accéder aux pentes inférieures, et c'est à nouveau une belle relance pour les spatules. Au dessus, à droite, deux skieurs déclenchent une coulée, très lourde qui glisse à la vitesse d'un escargot au galop ! bon on va pas trop rester dans le secteur ! Plus bas nos skis laissent des "S" oranges dans la neige blanche, découvrant la pellicule de sirocco amenée antérieurement par les vents du sud. Cette sous couche ocre annonce le bas du vallon, et la fin de cette descente longue de 1300 m de dénivelé qui laisse des contractures dans les cuissots, c'était tellement excellent qu'on y remonterait bien là-haut... Nous mettons les skis sur les sacs, et descendons à pied, un peu plus bas, trouver un endroit bucolique au bord du torrent Ésera, pour pique-niquer et faire une petite sieste, bercés par les sifflements des marmottes ! En repartant dans cette belle vallée du Plan d'Aigualluts, nous jetons un dernier coup d'œil vers les sommets, ça s'est bien bouché là-haut, la fenêtre météo aura été bénéfique, force est de constater que "that was the place to be" aujourd'hui, comme on dit en Aveyron ! Nous passons devant le célèbre "trou du taureau", "Forau d'Aigualluts", perte géologique dans lequel s'engouffre le rio Ésera, pour ressortir plus loin se partageant en deux, un bras continuant à l'air libre, l'autre continuant sa course souterraine pour rejoindre le petit Rio de la Garonne dans le val d'Aran. Nous croisons quelques randonneurs du dimanche qui tombent les billes en nous voyant ainsi équipés, lâchant quelques remarques sur nos "chaussures non adaptées à la marche" !!! Une petite heure plus tard nous sommes à la voiture, le temps de tout ranger et nous partons pour Bénasque. Au passage nous saluons le couple rencontré au sommet, un père et sa fille adoptive, très amicaux. Une bonne bière en arrivant au village où nous recroisons "les randonneurs du dimanche", échanges amicaux, petites blagues, on a l'impression de connaître tout le monde ici !!! Ce soir resto pour fêter ça !!! Merci à Aude, Nico et Philippe pour leur participation et la bonne ambiance. "Y ùn muchas gracias" à Philippe pour avoir été notre guide linguistique pendant ces trois jours !!!
Guiraudie Guy